La guerre : une expérience alternative de la vérité ?

Modifié par Clemni

Faire l'histoire de la guerre, est-ce nécessairement lui donner une raison (rationalité) qu'elle n'a pas ? Et ne parvient-on à en faire quelque chose de délimité, de politique, de rationnel, qu'en se focalisant sur le commandement militaire, la stratégie, les grands chefs et ce qu’il est convenu d’appeler « le génie militaire » ? Thucydide (vers 460-vers 395 av. J.-C.), le premier, fait de la guerre l'objet rationnel d'une histoire entrée dans la voie rigoureuse de la science. Et dans ce contexte, dans l'épisode du sinistre conflit opposant les Athéniens aux Méliens (habitants de l'île de Milos), il s’interroge avec une inquiétude qui fait vaciller son projet : est-ce que la guerre n'est pas toujours une même horrible répétition d'effroyables massacres ?

Dès lors, au lieu de donner une raison – et donc raison – à la guerre, ne conviendrait-il pas de développer des travaux qui, s'appuyant sur l'importance des témoignages d'êtres humains, y compris de simples soldats, parleraient enfin de l'expérience de la guerre ?

L’historien Marc Bloch (1886-1944), en évoquant l'importance de tels témoignages et témoignant lui-même de son expérience de soldat mobilisé, affirme dans un court texte, Les Fausses nouvelles de la guerre, qu'on a le droit de considérer la guerre européenne de 1914-1918 comme une « riche expérience de psychologie sociale ». Les conditions d'existence au front, les sentiments des soldats en campagne ouvrent effectivement à une étude de leurs variations et de leurs rapports.

Marc Bloch fournit un exemple : en septembre 1917, sur le plateau du Chemin des dames, des soldats, ignorant où était l'ennemi et ce qu'il projetait, prirent l'initiative d'un « coup de main luxueux » : ils attaquèrent un poste allemand et revinrent avec un prisonnier originaire de la ville hanséatique de Brême. Bloch fut chargé de l'interroger, après quoi on le relâcha. Peu de temps après, une rumeur fausse circulait : cet homme aurait été un de ces hommes infiltrés avant la guerre par des Allemands fourbes et rusés pour préparer par le renseignement une victoire facile et rapide.

Comme on le comprend, cette rumeur était une « fausse nouvelle ». Comment les conditions de vie en temps de guerre détruisent-elles à ce point l'esprit critique, demande l'historien ? Ou les liens sociaux, le bon sens et la liberté d'expression qui permettent de recouper les informations ?

Une enquête sérieuse sur les « fausses nouvelles de la guerre » permettrait de comprendre ce qu'elle est vraiment. L'histoire a intérêt à dialoguer avec les autres sciences humaines, la psychologie ou la sociologie notamment, pour ne pas retomber dans la mythologie. Hérodote (vers 484-vers 425 av. J.-C.), auquel s'opposa Thucydide, ne l'avait-il pas affirmé le premier dans ses Enquêtes (historia, en grec), il y a fort longtemps ?

Questions

  • Pensez-vous qu'on puisse dire la vérité en temps de guerre ? Pourquoi ?
  • Pourriez-vous identifier des légendes ou des textes dont les héros sont de grands guerriers ?

Pour aller plus loin

  • Marc Bloch, Réflexions d'un historien sur les fausses nouvelles de la guerre, éd. Allia, 1999
  • Alexis Philonenko, Essai sur la philosophie de la guerre, Vrin, 2003 (en particulier chap. 8, 9 et 10 sur Léon Tolstoï, auteur de Guerre et Paix)
  • Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature 2015), La Guerre n'a pas un visage de femme, éd. Poche, 1983
  • David El Kenz, Le Massacre, objet d'histoire, Gallimard, 2005

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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